AKI KURODA - Interview Tempura Magazine

Le grand entretien par Clémence Leleu, 2023.
Photos Iorgis Matyassy.

C'est à quatre ans, en feuilletant les pages de la revue Minotaure, qu’Aki Kuroda découvre un monde duquel il n'est jamais sorti, celui de la peinture surréaliste. L’artiste installé à Paris depuis 1970 n'a qu'un moteur: le plaisir. À 78 ans, il poursuit son œuvre prolifique qui tisse sa toile entre son atelier du XIVème arrondissement de Paris, les salles de spectacle, la rue et les musées du monde entier. Avec une constante : Aki Kuroda chérit le silence. Pour se réinventer, continuer d'avancer et, surtout, laisser sa peinture parler pour lui.

LE SILENCE EST D’ART

Vous avez débuté la peinture à trois ans, qu'est-ce qui vous a amené vers elle ?

Mon grand-oncle paternel, Jutaro Kuroda, était peintre, il est considéré comme le premier cubiste japonais. Mon père aimait aussi la peinture, j’ai donc grandi dans un environnement plutôt favorable à cela. Mais ce qui explique le plus le fait que je me sois mis à la peinture est que je suis fiIs unique. Il fallait que je m'occupe. Comme j'avais un rapport un peu difficile avec ma mère, je peignais en cachette. Je peignais à l’huile, c'est peut-être ça aussi qui me distinguait un peu des autres enfants.

Vous avez grandi à Kyoto et vous êtes venu visiter la France pour la première fois à l’âge de 2O ans, avant de vous y installer définitivement à partir de1970. Qu'est-ce qui vous a poussé à découvrir Paris?

Au milieu des années 1960 au Japon, il y avait beaucoup de mouvements étudiants de gauche. L’université était donc souvent fermée. Nous nous retrouvions entre amis dans des cafés, on jouait du jazz, on lisait des livres de Jean-Paul Sartre. Nous baignions dans cette culture et cette atmosphère, alors j’ai voulu la découvrir en vrai. Mon père était également venu en France, avant la Seconde Guerre mondiale. Il avait ramené avec lui plein de numéros de la revue surréaliste et dadaïste Minotaure. Je les ai trouvées dans sa bibliothèque à l'âge de quatre ans et cela a été un choc pour moi. J'étais complètement fasciné, car c'était très différent de ce que l'on pouvait voir à Kyoto. Je tournais les pages et je voyais les œuvres de Picasso, de Matisse... C'était un nouveau monde sous mes yeux. Mais mon premier voyage en France n'a pas tout à fait répondu à mes attentes. J'ai été un peu déçu. La ville n'était pas forcément jolie, certains bâtiments étaient sales, tout comme certaines rues. Il y avait aussi pas mal de prostitution du côté de Montparnasse, un quartier que je fréquentais beaucoup. On me faisait aussi certaines remarques racistes, certaines personnes tiraient sur leurs yeux en me regardant. Mais pendant ces huit mois parisiens, j'ai aussi rencontré des personnalités incroyables comme Tetsumi Kudo, un artiste surréaliste et dadaïste.

Malgré cette première expérience en demi-teinte, vous décidez tout de même de venir vous installer dans la capitale en 1970.

Oui, entre-temps je suis allé à New York parce que cette ville me fascinait, mais là encore c'était difficile, notamment à cause du contexte de la guerre du Vietnam. Etant d'origine asiatique, j'ai reçu quelques menaces de mort. Alors j'ai décidé de m'installer à Paris, avec ma compagne. J'ai d'abord trouvé un petit boulot en tant qu'assistant du sculpteur japonais Yasuo Mizui. Pendant huit ans j'ai fait plein de choses différentes, en complément de ma peinture, mais cela ne fonctionnait pas vraiment. Alors j'ai dit à ma femme, « nous allons rentrer au Japon ». J'ai commencé à faire le tri dans mes affaires en prévision de notre départ. À l'époque, je vivais à côté de la mairie du XVe arrondissement et j'allais tous les jours dans un café, où il y avait une femme yougoslave, elle aussi habituée des lieux. On se saluait tous les matins et un jour elle m'a invité à une soirée dédiée à un artiste de son pays. Normalement je ne vais pas dans ce genre d’événements, je n'y suis pas à l'aise, mais cette fois-ci j'ai accepté. Il y avait beaucoup d'artistes et de critiques d'art. J'y ai rencontré le peintre Ljuba, la critique d'art Anne Tronche, mais aussi Peter Klasen qui exposait régulièrement à La galerie Maeght. Ils ont voulu voir mon travail, et après, tout est allé très vite.

Effectivement, car vous êtes sélectionné pour la XIe Biennale de Paris dès 1980.

Absolument. Quelques mois plus tôt, j'avais débuté une série d'une dizaine de toiles carrées en noir et blanc d'un mètre cinquante. Elles leur ont plu. Ils ont parlé de mon travail, j'ai été sélectionné pour la Biennale de Paris et bien évidemment, il n'était plus du tout question de quitter la France pour retourner au Japon.

C'est aussi à cette époque que vous rencontrez Marguerite Duras et qu'elle signe un texte pour votre première exposition « Les Ténèbres ». Est-ce que cela a été pour vous quelque chose de déterminant?

Rencontrer les gens est quelque chose de compliqué pour moi. Je suis japonais, fils unique, un peu à part. J'ai du mal à trouver ma place. J'ai besoin de beaucoup de distance, j'ai toujours été très réservé. Encore aujourd'hui, il est difficile de parler de moi, d'appeler des curateurs. Mais Duras ça a été autre chose. J'avais lu ses livres, car elle était traduite en japonais. Notre rencontre a été naturelle, on se croisait beaucoup. Mes rencontres déterminantes, que ce soit avec Marguerite Duras, Michel Foucault ou encore Hervé Guibert sont toutes dues au hasard. Celui de la vie, du quotidien, des rencontres fortuites. Duras a écrit sur mon exposition alors même qu'elle ne voulait pas écrire sur l'art à l’époque.

« À notre époque la parole est très importante, il faut avoir un propos construit, qui s'étire en une ligne droite. De mon côté j'expérimente, il ne peut donc y avoir de réponse précise. C'est le silence qui me décrit le mieux. »

Dans son texte, elle écrit: « Le silence est ainsi fait par Kuroda sur l'intelligence de la peinture même. Il dit qu'il y a Ià à comprendre, mais sans jamais savoir quoi, qu'il y a là à dire, mais sans jamais savoir comment (...) Kuroda est en avance sur le silence. » Vous y reconnaissez-vous ?

Ce n'est pas facile de parler de peinture. En réalité, j'ai toujours voulu rester silencieux. À notre époque La parole est très importante, il faut avoir un propos construit, qui s'étire en une ligne droite, qui progresse. De mon côté, disons que j'ai une manière de penser qui est, comme je le dis, « octopus thinking » : ça part dans plusieurs directions, j'expérimente. Il ne peut donc y avoir de réponse précise. Il faut plutôt essayer de construire une réponse multiple. Et surtout, je ne peux pas me décrire. C'est effectivement le silence qui me décrit le mieux. Je ne sais pas moi-même ce que je suis, c'est aussi pour ça que je fais de la peinture.

Entre 1985 et 1994, vous avez édité, avec Yoyo Maeght et Didier Ottinger, la revue Noise. Pourquoi avez-vous décidé de vous lancer dans cette aventure?

Dans mon esprit il y avait bien sûr la revue Minotaure que j'avais découverte enfant, au Japon. Dans Noise nous rassemblions cinq artistes et cinq écrivains avec un mélange d'artistes internationaux et d'autres inconnus. Je peins, mais je m'intéresse à beaucoup de choses : à la danse, à la musique, à la littérature. À l'époque j'habitais près de la rue Daguerre, où la famille Maeght avait son imprimerie. Beaucoup de gens passaient là-bas, comme Miró par exemple. On rencontrait pas mal de monde, d'artistes, alors on a voulu en faire quelque chose. C'est comme ça gue Noise est née.

Au quotidien, vous ne voulez surtout pas parler de votre peinture, donner des éléments d'explication de votre démarche artistique. Pourquoi ?

Ma peinture est comme ma pensée, elle est multiple. Il peut y avoir des choses parfois très expressionnistes, d'autres très minimales. Je peux faire des visages, peindre en noir et blanc et d'un seul coup créer une toile intégralement rouge. C'est un peu comme dans les films de Jean-Luc Godard. Il y a une image en noir et blanc et d'un seul coup il y a une typographie ou un plan, une image qui arrive à L'écran entièrement rouge ou bleue. Tout cela mis bout à bout donne un ensemble qui, bien que différent, se complète, s'emboîte, comme les différents pans d'un paravent.

Je ne veux pas parler de ma peinture pour avancer. Mon envie principale n'est pas de me raconter ou de chercher à savoir ce que je fais, c'est de toujours chercher de nouvelles rencontres, et avec la peinture, et avec les gens. Et puis devant une peinture, ce n'est pas facile de parler, on voit tout de suite votre sensibilité. Pour moi c'est dangereux. Derrière la surface, il y a une épaisseur, la mémoire. Tout cela vient de l’intérieur.

Une de vos spécificités est que vos œuvres ne sont pas toujours datées et qu'il vous arrive régulièrement de poursuivre des toiles peintes plusieurs années auparavant. Votre art doit-il selon vous toujours pouvoir être complété ?

Oui, parce que ma vie et ma sensibilité, mais aussi l'époque, évoluent. Il y a dix ans j'étais différent, mon style aussi. Je veux pouvoir compléter ma peinture avec mes nouveaux sentiments. Et puis d'autres choses arrivent lorsque l'on complète ses œuvres. Je suis toujours à la recherche de quelque chose. Mon moteur n'est pas que mon travail soit terminé. C'est pour cela aussi que je refuse de définir mon travail, c'est la peinture qui doit parler pour moi. S'il est vrai que le style est important, ce qui m'importe c'est plutôt le mouvement. Comme les cellules de notre corps qui changent tout le temps. Dans un an, je serai autrement, il y aura eu des variations, pourtant, ce sera toujours moi. Et puis surtout, mes peintures, ce n'est pas mon histoire. Ce sont les gens qui les regardent qui lui apportent d'autres choses, ce sont eux qui créent de nouvelles choses, de nouvelles idées à partir de ce que je fais. Mes peintures, ce n'est pas moi.

Un de vos lieux de prédilection est la ville, la rue. Qu'y trouvez-vous?

Tout d'abord j'aime bien flâner dans la ville, sans avoir de but. Cela convient tout à fait à ma manière de penser. Mon plaisir est de me balader à l'arrière des grandes artères, de découvrir les recoins, les rues ou ruelles un peu alternatives. On y voit des choses multiples et pas forcément évidentes ou en tout cas, pas accessibles à ceux qui restent sur les grandes avenues. C'est pour cela que j'aime bien me balader à Tokyo, dans son dédale de petites rues. Paris, avec l'haussmannien, c'est très clair, c'est très beau, mais tout cela est très organisé.

Ensuite, j'aime me balader, arpenter les rues, car je peux y regarder le visage des gens. C'est une de mes sources d'inspiration. Et puis bien sûr il y a les cafés, où je passe beaucoup de temps. J'observe les clients, i’ y fais des rencontres. Dans les cafés les choses sont informelles, les liens se tissent, mais avec simplicité. Je suis comme mon père qui était tout le temps au café, c'est une tradition à Kyoto. Et puis gue ce soit dans la rue ou dans les cafés, il n'y a pas de hiérarchie. Ce gui est important pour moi, dans ma vie, mais aussi dans mon art, c'est le plaisir. Le plaisir simple, en dehors de toute idéologie ou de pensée philosophique. Il faut que je prenne du plaisir à peindre, à regarder ma peinture. Je recherche le plaisir de vivre. J'estime que la vie doit être intéressante. Je me demande très souvent pourquoi je suis là, pourquoi je vis ici, ce qu'est la vie. Mais cela peut, au bout d'un moment, me faire entrer dans les ténèbres. Alors j'essaie d'imaginer dans mes tableaux des choses qui me rendent heureux comme des petits cafés, des petits jardins, des ruelles... Il faut que la ville soit joyeuse, vivante. Par exemple, pendant la pandémie de coronavirus, la ville était morte, tous les bars étaient fermés, la ville était devenue une prison.

Vous représentez donc dans vos œuvres une sorte de ville idéale?

Non, je dirais plutôt gue je crée ma propre ville. C'est à la fois une ville idéale et apocalyptique. Selon moi, tout doit être en mouvement. La ville, mais aussi la vie, est comme une rivière : il faut qu'il y ait du courant. Si l'eau ne coule plus, elle stagne et commence à pourrir. Il faut donc trouver un équilibre, une balance, être en permanence entre le mouvement et le calme. La peinture c'est ça aussi. Elle doit être visitée par le mouvement, parle vent. Sinon elle se referme sur elle-même et finit pat mourir. Mais je n'ai pas forcément envie de montrer ce côté-là, trop réfléchi. Alors, disons que j'ai besoin de mouvement, d'air, de stimulation pour créer ma peinture et les éléments qui la composent. Un autre point est que dans mon travail je n'ai pas trop envie d'être dans le souvenir. Il faut bien sur un peu de mémoire, mais pas trop. Il faut avar cet, aller vers l'avant pour créer.

Dans vos œuvres vous abolissez la perspective. La casser, rompre avec ce code, c'est acquérir une nouvelle liberté?

La perspective pour moi, c'est le pouvoir. C'est la surveillance. Michel Foucault l'a très bien analysé dans son œuvre avec l'hôpital ou la prison. L'architecture haussmannienne, très bien organisée, peut être rassurante. Lorsque l'on est dedans, Que l'on y est habitué, c'est une sorte de paradis artificiel protecteur. J'estime de mon côté qu'il faut un peu casser la perspective, toujours dans cette idée de créer du dynamisme, permettre le mouvement, mais un mouvement un peu anarchique, par forcément contrôlé. Qui permet les à-côtés, de prendre des chemins qui ne soient pas rectilignes. Cela ouvre des possibilités, permet de chercher à comprendre, mais aussi de s'ouvrir à l'apprentissage d'autres choses. Et c'est en tentant de nouvelles choses que l'on peut avancer. On en revient toujours à l'exemple de la rivière, de l'eau, qui s'immisce et coule où elle veut.

« Je n'aime pas les choses définies, binaires et qui ne permettent pas la nuance. Il n'y a pas de noir et blanc, il y a du gris. Je suis un mélange de plein de choses. De tous les endroits où je suis allé, de toutes les personnes que j'ai rencontrées au fil de ma vie. »

ll y a des éléments qui reviennent souvent dans votre travail : les couleurs primaires, le noir et le blanc, les labyrinthes, Ies visages... Ces marqueurs d'identité vous permettent-ils d'expérimenter d'autres choses dans vos toiles tout en restant reconnaissables?

Je ne peux pas vous répondre et pour une raison très simple : mon identité n'existe pas. EIle existe pour aujourd'hui, mais demain, elle peut être une autre. Dans notre époque post-moderne, il ne faut pas prendre position, revendiquer un style. Moi je danse, j'évolue avec le monde. Je suis fils unigu€, depuis tout petit j'ai dû créer mon propre jeu, mes propres règles, surtout dans ce contexte post-seconde Guerre mondiale (Aki Kuroda est né en î944 à Kyoto, ndlr). J'aime les couleurs, c'est vraî, mais je les utilise parce que cela me fait plaisir au moment même où je peins. Tout cela n'est pas réfléchi, c'est uniquement une question de joie. Et mes sources de joie peuvent varier d'un jour à l'autre. J'ai envie de raconter des choses en moi-même, alors lorsque je peins je laisse venir la joie. Elle peut m'entraîner vers les couleurs, vers des formes labyrinthiques ou encore vers des visages, mais en quelque sorte, ce n'est pas moi qui le décide. Je suis guidé par Lajoie, le plaisir que la peinture me procure.

En parlant d'identité, vous avez dit lors d'une interview, que vous n’étiez « ni français, ni japonais, mais un déraciné », qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Je n'aime pas les choses définies, binaires et qui ne permettent pas la nuance. Selon moi, il n'y a pas de noir et blanc, il y a du gris. Je suis un mélange de plein de choses. De tous les endroits où je suis allé, de toutes les personnes que j'ai rencontrées au fil de ma vie. Et puis ll y a mes spécificités. Par exemple, je garde toujours une distance avec les autres, ce n'est pas évident pour moi d'entre et e contact avec les gens, de les appeler. Mais d'un autre côté, IL y a en moi quelque chose d'explosif, comme certaines fêtes japonaises, comme le Gion Matsuri de Kyoto. Et puis il y a ma part d'intériorité, de modestie, ce côté qui est aussi très japonais.

Vous m'avez confié avant que l'entretien ne commence que vous vous demandez régulièrement « pourquoi est-ce que je continue à faire de la peinture ». Avez-vous une esquisse de réponse?

 Aujourd'hui j'aime la peintre, car j'ai besoin de regarder quelque chose, sinon le monde est trop cruel. On a besoin d'autre chose que le quotidien dans nos vies et la peinture apporte ce quelque chose. Elle touche des parties de nous, il y a quelque chose de très riche avec elle. Quand je rentre dans mon atelier, cela me fait du bien. Mais en même temps, je ne peux pas y rester trop longtemps. C'est beaucoup d'émotions pour moi. Alors je sors, je vais au café, je me balade. C'est comme pour les musées. C'est beaucoup d’émotions, ça me fatigue, je suis trop sensible. J’ai besoin de beaucoup d'énergie pour y passer du temps. Selon moi, une des choses importantes, dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, est gue nous avons tous besoin de la culture. Elle anime. Mais ce n'est pas simplement une question d'agent, c'est surtout une question d’énergie. Il faut en mettre beaucoup dans la culture, pour qu'elle vive et qu'elle soit préservée.

Dans vos œuvres vous abolissez la perspective. La casser, rompre avec ce code, c'est acquérir une nouvelle liberté?

La perspective pour moi, c'est le pouvoir. C'est la surveillance. Michel Foucault l'a très bien analysé dans son œuvre avec l'hôpital ou la prison. L'architecture haussmannienne, très bien organisée, peut être rassurante. Lorsque l'on est dedans, Que l'on y est habitué, c'est une sorte de paradis artificiel protecteur. J'estime de mon côté qu'il faut un peu casser la perspective, toujours dans cette idée de créer du dynamisme, permettre le mouvement, mais un mouvement un peu anarchique, par forcément contrôlé. Qui permet les à-côtés, de prendre des chemins qui ne soient pas rectilignes. Cela ouvre des possibilités, permet de chercher à comprendre, mais aussi de s'ouvrir à l'apprentissage d'autres choses. Et c'est en tentant de nouvelles choses que l'on peut avancer. On en revient toujours à l'exemple de la rivière, de l'eau, qui s'immisce et coule où elle veut.

« Je n'aime pas les choses définies, binaires et qui ne permettent pas la nuance. Il n'y a pas de noir et blanc, il y a du gris. Je suis un mélange de plein de choses. De tous les endroits où je suis allé, de toutes les personnes que j'ai rencontrées au fil de ma vie. »

ll y a des éléments qui reviennent souvent dans votre travail : les couleurs primaires, le noir et le blanc, les labyrinthes, Ies visages... Ces marqueurs d'identité vous permettent-ils d'expérimenter d'autres choses dans vos toiles tout en restant reconnaissables?

Je ne peux pas vous répondre et pour une raison très simple : mon identité n'existe pas. EIle existe pour aujourd'hui, mais demain, elle peut être une autre. Dans notre époque post-moderne, il ne faut pas prendre position, revendiquer un style. Moi je danse, j'évolue avec le monde. Je suis fils unigu€, depuis tout petit j'ai dû créer mon propre jeu, mes propres règles, surtout dans ce contexte post-seconde Guerre mondiale (Aki Kuroda est né en î944 à Kyoto, ndlr). J'aime les couleurs, c'est vraî, mais je les utilise parce que cela me fait plaisir au moment même où je peins. Tout cela n'est pas réfléchi, c'est uniquement une question de joie. Et mes sources de joie peuvent varier d'un jour à l'autre. J'ai envie de raconter des choses en moi-même, alors lorsque je peins je laisse venir la joie. Elle peut m'entraîner vers les couleurs, vers des formes labyrinthiques ou encore vers des visages, mais en quelque sorte, ce n'est pas moi qui le décide. Je suis guidé par Lajoie, le plaisir que la peinture me procure.

En parlant d'identité, vous avez dit lors d'une interview, que vous n’étiez « ni français, ni japonais, mais un déraciné », qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Je n'aime pas les choses définies, binaires et qui ne permettent pas la nuance. Selon moi, il n'y a pas de noir et blanc, il y a du gris. Je suis un mélange de plein de choses. De tous les endroits où je suis allé, de toutes les personnes que j'ai rencontrées au fil de ma vie. Et puis ll y a mes spécificités. Par exemple, je garde toujours une distance avec les autres, ce n'est pas évident pour moi d'entre et e contact avec les gens, de les appeler. Mais d'un autre côté, IL y a en moi quelque chose d'explosif, comme certaines fêtes japonaises, comme le Gion Matsuri de Kyoto. Et puis il y a ma part d'intériorité, de modestie, ce côté qui est aussi très japonais.

Vous m'avez confié avant que l'entretien ne commence que vous vous demandez régulièrement « pourquoi est-ce que je continue à faire de la peinture ». Avez-vous une esquisse de réponse?

Aujourd'hui j'aime la peintre, car j'ai besoin de regarder quelque chose, sinon le monde est trop cruel. On a besoin d'autre chose que le quotidien dans nos vies et la peinture apporte ce quelque chose. Elle touche des parties de nous, il y a quelque chose de très riche avec elle. Quand je rentre dans mon atelier, cela me fait du bien. Mais en même temps, je ne peux pas y rester trop longtemps. C'est beaucoup d'émotions pour moi. Alors je sors, je vais au café, je me balade. C'est comme pour les musées. C'est beaucoup d’émotions, ça me fatigue, je suis trop sensible. J’ai besoin de beaucoup d'énergie pour y passer du temps. Selon moi, une des choses importantes, dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, est gue nous avons tous besoin de la culture. Elle anime. Mais ce n'est pas simplement une question d'agent, c'est surtout une question d’énergie. Il faut en mettre beaucoup dans la culture, pour qu'elle vive et qu'elle soit préservée.

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