Aki Kuroda par Mariko Kuroda et Yoyo Maeght - Biographie 1 - 1944 à 1982

Aki Kuroda naît à Kyoto le 4 octobre 1944.

Son père, professeur d’économie à l’université de Doshisha (Kyoto), a séjourné en France et en Allemagne durant l’entre-deux guerres. Il connaît et apprécie la culture européenne. On lui doit la création de deux écoles de design, dont l’une consacrée à l’étude des travaux du Bauhaus. Il prend également une part active à la création cinématographique (Kyoto est alors, au Japon, la ville du cinéma).

Son grand-oncle paternel, Jutaro Kuroda, considéré comme le premier cubiste Japonais, a largement contribué à introduire ce mouvement pictural au Japon.

Enfant unique, Aki est élevé dans une atmosphère de liberté. D’une grande ouverture d’esprit, sa famille s’emploie à lui faire connaître différentes cultures et religions, ainsi que divers modes de pensée.

Le père d’Aki possède une importante bibliothèque enrichie d’une collection de livres d’art traitant des arts plastiques en Occident. Lors d’un séjour parisien, il s’était abonné à la revue artistique et littéraire Le Minotaure, de Skira et Tériade, dont les treize numéros ont été publiés entre juin 1933 et mai 1939. Breton, Dali, de Chirico, Derain, Duchamp, Éluard, Ernst, Magritte, Man Ray, Masson, Matisse, Miró, Picasso, Reverdy, Tzara et Kurt Weill, parmi d’autres, ont collaboré à cette revue. C’est en la consultant qu’Aki reçoit son premier choc artistique. Aki ne lit alors pas le français ni notre alphabet. Seules les illustrations lui sont accessibles.

Aki commence à peindre dès l’âge de trois ans. Son père, qui lui-même pratiquait la peinture à l’huile d’inspiration occidentale, et dont l’un des sujets préférés était la représentation de roses, souhaitait qu’Aki ait accès à toute forme d’expression, il lui offre du matériel de peinture, de sculpture et de calligraphie. À quatre ans, Aki exécute sa première peinture à l’huile.

Entre 1954 et 1958 quelques toiles d’Aki sont exposées dans divers Salons.

Entre 1958 et 1965.

Kyoto est fortement imprégnée par les traditions du Zen. La tendance anticonformiste de cette religion favorise l’ouverture à de multiples expériences marginales. Kyoto devient ainsi l’un des lieux choisis par certains représentants de la « Beat Generation ».

Encore lycéen, Aki rencontre James Lee Byars (1932- 1997). Ce sera sa première amitié déterminante. Aki assiste aux performances de Byars (l’artiste américain plie silencieusement des papiers, à minuit, dans un temple Zen, ou bien, vêtu d’un costume noir, le front ceint d’un bandeau, jette de la poudre d’or à la ronde). Par-delà des apparences quelque peu provocatrices, Byars est à la recherche du moment esthétique parfait, lequel trouve une résonance particulière au Japon.

Aki Kuroda rejette alors la culture japonaise, associée à la guerre et à ses désastres. De 1960 à 1965, il abandonne également la peinture, qu’il pratiquait pourtant de manière viscérale. Il organise des happenings. L’un d’eux, intitulé Rêve de fœtus (1965), met en scène, dans l’auditorium de l’université de Doshisha, des acteurs qui s’agitent à l’intérieur d’un immense sac en plastique, semblable à un cocon, à un estomac ou à un cerveau, puis déchirent le sac et lancent des fils sur les spectateurs qu’ils provoquent de diverses manières.

Entre 1965 et 1969

À l’initiative d’anciens élèves de son père, Aki part pour l’Occident. Il séjourne six mois en France, mais aussi en Espagne, et six mois aux États-Unis.

Officiellement, il doit faire des recherches pour un travail universitaire consacré à Picabia (il est inscrit en cours d’esthétique à l’Université de Doshisha, à Kyoto). Mais au cours de ce voyage, Aki ne fréquente aucun musée, ne visite aucune exposition et ne s’inscrit dans aucune bibliothèque. Il cherche surtout à s’imprégner de l’ambiance et de la lumière des pays qu’il visite.

Après un an d’exploration, il retourne au Japon, où il termine ses études universitaires.

Entre 1970 et 1973

L’opportunité de retourner à Paris se présente quand le sculpteur japonais Yasuo Mizui (né en 1925) propose à Aki de devenir son assistant. Le 15 février 1970, avec Mariko, qu’il épousera en mai, Aki rejoint Mizui à Paris. À cette époque, Mizui travaille la pierre. Kuroda entretient un contact difficile et conflictuel avec ce matériau dur qu’il n’apprécie guère. Après une année de labeur, il abandonne l’atelier de Mizui.

Pendant trois ans, Kuroda vit en nomade dans Paris et ses banlieues, changeant fréquemment d’adresse et d’hôtel. Il fréquente le milieu surréaliste japonais de Montparnasse. Comme il le faisait déjà au Japon, il passe des heures, assis à la terrasse de cafés, à observer le va-et-vient des passants, à prendre des notes, à dessiner ou à écrire. Aki ne cherche pas pour autant à entrer en contact avec les parisiens. Il ne cherche pas à apprendre à parler le français, en revanche, il lit énormément et particulièrement les revues d’art plastique, mais aussi de théâtre, de musique et de danse. Souvent il s’installe sur son lit et il s’essaie à des œuvres sur papier, qu’il qualifie de « petits travaux ». La tendance surréaliste de ceux-ci témoigne des premières influences reçues au contact de la revue Minotaure.

Au printemps 1971, Aki Kuroda part pour Quiberon. Il se rend à Carnac et reste subjugué par la modernité des alignements de menhirs. En décembre de cette même année, Aki et Mariko partent en train pour l’Italie, sans destination ni itinéraire prévu. Ils découvrent Rome, les jardins de la Villa d’Este à Tivoli et la Villa Hadrienne. Des Italiens rencontrés une nuit à Rome les guident quelques jours en Italie. Dès l’été suivant, il retourne en Italie avec des amis japonais, rencontrés à Paris. Il passe par Turin, Gênes, Parme, Pise et Florence. Sur le chemin du retour, il s’arrête à Hauterives (Drôme), pour visiter le Palais Idéal construit par le facteur Ferdinand Cheval (1836-1924) avec les cailloux ramassés lors de ses tournées. Kuroda emmagasine le plus possible de références et reconstitue son histoire de l’art.

Peu d’œuvres sont issues de cette période. Aucune toile, pas même des peintures sur papier. Seuls quelques carnets témoignent de cet amalgame de cultures reçues. Il réalise clandestinement une installation nocturne dans le jardin du Luxembourg. De cet investissement illicite, il ne subsiste aucune trace, aucun témoignage.

1974 Aki Kuroda se fixe enfin à Paris, place Adolphe Chérieux, dans le XVe arrondissement. Il occupe un appartement en rez-de-chaussée de très petites dimensions.

Il se remet alors à peindre. La pièce principale, dont la surface n’excède pas vingt mètres carrés, est transformée en atelier. Kuroda y réalise des toiles mais aussi des objets d’esprit surréaliste. Il utilise des autocollants de couleurs, du coton et des moules à gâteaux qu’il fige dans le Plexiglas. Il efface une série de cartes postales, qu’il nomme Effaçade. Il réalise des installations avec des haricots blancs, des morceaux de bois et des fragments de plâtre en forme de cailloux, qu’il peint puis dissémine dans de grandes boîtes.

Au cours de l’été 1974, il part de nouveau pour l’Italie avec Kimio Jinno, camarade d’université retrouvé à Paris et maintenant étudiant en philosophie. La première partie du voyage qui s’organise comme des sessions de travail, est consacrée au Palais Farnese, à plusieurs sites de la période maniériste et aux jardins fantastiques de Bomarzo, conçus en 1552 par Pirro Ligorio, à la demande du prince Orsini. Aki est fascinée par le labyrinthe de Bomarzo, qu’il avait découvert dans l’ouvrage que la femme de lettres néerlandaise Hella S. Hasse lui avait consacré en 1968 (Les Jardins de Bomarzo).

Dans Balises de lectures, ce même auteur écrivait : « Flâner dans un labyrinthe, c’est la marque même de la prise de conscience qui précède la modification, de la descente en soi avant la renaissance dans une réalité nouvelle ». Il visite à nouveau les jardins de la Villa d’Este à Tivoli et la Villa Hadrienne. Il tient à retourner sur les lieux du précédent voyage afin de s’en imprégner pleinement. Puis, il s’aventure jusqu’au sud, Naples et Bari.

L’été suivant, c’est la découverte de l’Espagne, de Barcelone à Tolède, de Tolède à Cordoue puis à Grenade, Séville, où il assiste pour la première fois à une corrida, Cadix, Madrid, San Sebastien. Il fait provision d’images et d’impressions. Plus que les œuvres des musées, c’est la lumière méditerranéenne qui le captive.

Fasciné par l’architecture arabe d’Andalousie, il décide de franchir le détroit de Gibraltar. Faute de visa, il se voit empêché de poursuivre son périple de l’autre côté de la Méditerranée.

1976 Plusieurs de ses dessins sont présentés au World Surrealist Exhibition à Chicago. Il n’a encore participé à aucune exposition en galerie.

Il reçoit la visite de ses parents à Paris. Ensemble, ils partent pour Rome.

Il participe à une exposition au Centre Américain de Paris. À l’initiative du critique japonais Jun Ebara, des toiles d’Aki sont présentées au Festival International de Peinture de Cagnes-sur-mer, il y fait la connaissance de l’artiste néodadaïste Kudo. Il visite la Fondation Marguerite et Aimé Maeght à Saint-Paul. Le labyrinthe de Miró répond à son souci de perfection tant par sa dimension mentale que par sa configuration qui rappelle la sérénité des jardins japonais. La présence d’une chapelle dans ce lieu culturel lui remémore les performances de James Le Byars dans les temples Zen à Kyoto.

Un ami met à sa disposition un appartement à Bruxelles. Aki y prépare plusieurs tableaux qui seront présentés à l’exposition « Prix Europe de la peinture », qui a lieu en 1978 à Ostende. Au cours des trois années suivantes, Aki fera plusieurs séjours à Bruxelles.

1978 Son ami Toshi Maeno, jeune critique japonais, le soutient auprès de la Kunsthalle de Bremerhaven (Allemagne), ce qui permet à Aki de présenter pour la première fois une exposition personnelle de ses œuvres réalisées à Paris. De retour à Paris, il rencontre Nina Dausset, qui lui propose d’exposer quelques toiles dans la galerie qu’elle vient d’ouvrir rue de Lille, malheureusement aucune vente n’est conclue. Aki Kuroda se trouve dans une situation économique critique, qui lui fait envisager un retour au Japon. Avant de quitter Paris, il décide de réaliser quelques peintures. Il nourrit la conviction que rien n’a encore vraiment commencé.

Grâce à l’aide financière de Kimio Jinno, un ami connu à l’université de Kyoto, il achète plusieurs châssis, des toiles et de la peinture. Les toiles de deux mètres par deux mètres envahissent rapidement le minuscule appartement. Elles sont empilées contre les murs. Aucune vue d’ensemble n’est possible. Les diptyques (deux mètres par quatre), trop longs pour s’appuyer sur les murs, coupent la pièce en diagonale. Les toiles organisent son espace de vie, comme, dix ans plus tard, elles organiseront les différents espaces de ses installations.

Aki participe à : « Travaux sur papiers-objets » à Villeparisis et « International Exhibition of Original Drawings » au Musée d’Art moderne de Rijeka en Yougoslavie.

Dans un café du XV e arrondissement, il rencontre un couple franco-yougoslave de journalistes par l’intermédiaire desquels il entre en contact avec le peintre Ljuba. Il fait également la connaissance et se lie d’amitié avec Anne Tronche, critique d’art, puis avec Peter Klasen, qui expose régulièrement à la galerie Maeght. Ces rencontres vont se révéler décisives. Bien qu’Aki n’ait encore vendu aucune œuvre et que ses ressources soient épuisées, Aki et Mariko décident de ne pas quitter Paris.

1979 Vrije Universiteit à Bruxelles organise une exposition personnelle d’Aki Kuroda qui, la même année participe à « G rands et jeunes aujourd’hui » au Grand Palais à Paris. Exposition collective à la Galerie Nina Dausset..

1980 Par l’entremise de Peter Klasen, la famille Maeght rencontre Aki Kuroda, mais la visite prévue à l’atelier s’avère impossible ; seuls quelques passages exigus ne sont pas encombrés par les peintures. Les immenses toiles ont envahi l’appartement. Il est impossible de les voir entièrement, quelques-unes sont sorties sur le trottoir pour bénéficier d’un peu de recul. À la demande des Maeght, les toiles sont transportées à la galerie. Elles y resteront car ils décident de les exposer quelques mois plus tard lors d’une exposition personnelle d’Aki Kuroda dans la galerie de la rue du Bac. Les expositions de la Galerie Maeght sont alors accompagnées de la publication d’une affiche en lithographie et d’un catalogue comportant également des créations en lithographie. L’imprimerie Arte, rue Daguerre, permet à Aki de découvrir les techniques de l’estampe. Il les utilisera désormais régulièrement pour investir de nouvelles formes. Ses premières lithographies originales sont éditées.

Le 30 octobre 1980 a lieu le vernissage de la première exposition personnelle des œuvres d’Aki Kuroda à la Galerie Maeght. Marguerite Duras (1914-1996), rencontrée quelques mois plus tôt à Saint-Germain-des-Prés, est immédiatement séduite, autant par le personnage que par ses œuvres. Elle tient à soutenir cet artiste issu du Japon qu’elle aime tant. Marguerite Duras qui est l’un des auteurs de prédilection d’Aki Kuroda écrit donc le texte Les Ténèbres de Aki Kuroda préfaçant le catalogue de l’exposition. Elle fera figurer ce texte dans le recueil Outside paru chez Albin Michel quelques mois plus tard.

L’exposition présente toutes les grandes toiles et diptyques réalisés depuis plusieurs mois, l’atelier est vide, Aki se remet au travail avec frénésie. Maeght devient son marchand exclusif qui, désormais, l’exposera chaque année. La complicité entre Maeght et Kuroda, lui laisse toute liberté pour concevoir ses expositions, catalogues et éditions.

La même année, Aki Kuroda est retenu pour figurer dans la sélection française de la XI e Biennale de Paris. Anne Tronche commente son travail dans le catalogue. Quelques critiques soutiennent le travail de Kuroda en publiant des textes, Otto Hahn dans l’Express et la revue + – 0, Alain Macaire dans Canal Manach, et Claire Nadau dans Libération, E. Couturier dans Art Press

1981 Aki Kuroda fait la connaissance des autres artistes de la Galerie Maeght, Gasiorowski, Voss, Bazaine... Il se rend souvent à Saint-Paul, où il apprécie particulièrement la compagnie de Miró, lequel vient, depuis plus de trente ans, passer chaque été chez les Maeght où il dispose d’un atelier de gravure. Aki est ému en voyant l’immense presse sur laquelle Miró a peint une dédicace. Joan Miró et Aki s’isolent et discutent longuement dans le Labyrinthe que Miró a créé dans les jardins de la Fondation Maeght. Quelques années plus tard, Aki investira, chaque été, l’atelier de Saint-Paul pour y réaliser ses grandes gravures sur cuivre, bois, linoléum ou au carborundum.

De retour à Paris, Aki prépare de nouvelles toiles pour sa prochaine exposition à la Galerie Maeght. L’appartement est littéralement envahi de peintures : les toiles se superposent dans la pièce qui fait office d’atelier, tandis que la chambre se transforme en réserve.

En dépit des protestations de son entourage, l’artiste détruit plusieurs tableaux. Il décide brusquement de rompre avec le noir de la série Ténèbres, au profit du bleu, inspiré du bleu de Kyoto, couleur utilisée par son grand-père paternel, fabricant de kimonos. Il peint alors La chute d’Icare. Une silhouette, figure ou cariatide, se dessine progressivement dans ses œuvres : « Ces figures semblent se constituer de la précipitation, au sens chimique du terme, d’un ensemble de signes qui, tout à la fois, les établissent et les divisent. » Marcellin Pleynet, texte du catalogue de l’exposition « ContiNUITé ».

Il se rend quotidiennement à Arte, où il observe l’utilisation de toutes les différentes techniques d’impression. La gravure le séduit particulièrement et ses premières eaux-fortes sont publiées. Aucune hésitation, le geste est sûr et affirmé, qu’il s’agisse de graver une plaque de cuivre, d’utiliser le crayon lithographique ou la gouge pour le linoléum.

Anne Tronche publie dans le numéro 80 de Opus International, Voyage au Noir sur les peintures de l’exposition « Ténèbres ». Son ami Toshi Maeno signe un texte sur lui dans Bijutsutecho.

Il participe à l’exposition « Déserts » à Villeneuve-lès Avignon. Des œuvres sont exposées au Musée Bonnat de Bayonne et au Taidemuseo, Sara Hildenin en Finlande.

1982 Aki Kuroda croise régulièrement un homme dans une boulangerie de la rue de Vaugirard. Ils échangent quelques mots, sympathisent. Il s’agit du philosophe Michel Foucault (1926- 1984). Foucault assiste au vernissage de la deuxième exposition Kuroda à la Galerie Maeght ; il est vivement impressionné par les tableaux bleus. Ses commentaires apportent un soutien capital à Kuroda. L’exposition « ContiNUITé » est accompagnée d’un catalogue pour lequel Marcellin Pleynet signe le texte : La Guerre des figures et des signes.

Aki rencontre Yves Simon, homme de lettres et chanteur. Partageant une vision commune de l’espace Yves Simon écrira plusieurs textes pour Kuroda. Puis des œuvres de Kuroda figureront sur des couvertures de livres de Yves Simon dont La ruée vers l’infini.

L’exposition personnelle au Centre Culturel de Tarbes propose au visiteur un cheminement parmi les toiles noires Une œuvre est présentée à l’exposition parisienne : « L’Électrographie dans le métro ».