Thierry Lefort - Par Frédéric Andreu
Imaginaire européen et espace américain dans l’œuvre de Thierry Lefort - par Frédéric Andreu, 10 sept. 2023
Les contes de Grimm décrivent souvent des forêts et des chemins. Il arrive même que telle forêt et tel chemin deviennent le théâtre de périlleuses traversées où des enfants héros, Petit Poucet rêveur, Chaperon Rouge ou autre Cendrillon, rivalisent d'aventures. Peut-on établir une comparaison entre certains contes de fée de notre enfance, entre les bois à la fois merveilleux et inquiétant qu'ils renferment, et les toiles de Thierry Lefort ?
Tout repose sur l'inquiétude spirituelle que nous ressentons à la traversée de telles œuvres. Ecoutons un moment le récit de notre expérience intérieure de la forêt : le cœur bat la chamade ; quelques branches basses en travers du chemin finissent même par déchirer l'habit du héros apeuré et fuyant… À cette heure tardive, les ombres des arbres s'allongent et s'allongent encore, tout comme dans les tableaux de Thierry Lefort ! La forêt est en passe à devenir un des symboles de notre psyché profonde… Au lieu de nous perdre par de multiples chemins de la forêt extérieure, suivons plutôt l'adage de Georges Dumézil : « Enfonces-toi dans la forêt de toi-même et tu trouveras les dieux »…
Regardons maintenant de plus près les toiles du peintre et demandons-nous quel univers culturel colportent-elles, sinon, peut-être, cet imaginaire européen enraciné dans les contes de fée de notre plus lointain folklore ? En tout cas, les saisissantes ombres portées que l'on observe dans les toiles de Lefort impressionnent par une puissance narrative non moins captatives que les contes de fée. Les commentaires laissés par le public sur le Livre d'Or de l'exposition sont suffisamment explicites à l'endroit des Amériques peintes de Thierry Lefort. Le public, conquis et entraîné par tant de motifs mirifiques, s'exprime en des termes peu éloignés des réactions de nos enfants venant de lire des contes de fée, le sentiment de se retrouver dans une version modernisée d'un conte de Cendrillon ou du Petit Poucet ?
Pourtant, les toiles de Thierry Lefort évoquent des lieux et des motifs totalement étrangers à l'univers européen. Elles représentent exclusivement des atmosphères de l'Amérique des grands espaces. Ces toiles nous subjuguent et se faisant, elles nous rappellent que l'art a la capacité de mobiliser un imaginaire inscrit dans l'être individuel et collectif. Cette mission sacrée de l'art, totalement occultée par la post-modernité, plus inclines à favoriser l'idéologie et les valeurs dites sociétales restent pourtant, le critérium intact de l'art.
Bref, il y a bien du fantastique dans l'œuvre de Thierry Lefort, un fantastique typiquement européen, même si ses toiles illustrent des réalités d'un autre continent. En effet, Thierry Lefort - comme Max Ernst en son temps - peint les espaces emblématiques du Far West américain qu'il sillonne depuis des années. On reconnaîtra les grands espaces du Western de notre enfance, mais aussi ceux des RoadMovies de notre adolescence. Il en saisit d'ailleurs à merveille la poésie. Cependant, ces voyages-découverte à travers les États-Unis d'Amérique ne font pas de Thierry Lefort un américain ; Thierry Lefort est français, européen et c'est pourquoi il s'exprime en puisant dans le substrat culturel européen. Il en ressort une œuvre personnelle, singulière et prometteuse.
Un poète, et non des moindres, Laurent Desvous-Dyrek, nous transmet un poème inspiré par l'univers de Thierry Lefort. Nous le reproduisons infra. On ne saurait mieux dire les couleurs, les encres, et les mystères de cet art pictural à la fois enraciné et personnel…