Presse - La Fondation Maeght plongée dans la torpeur

À l’heure du triomphe des fondations privées d’art en France, la première d’entre elles, l’héritière des Maeght à Saint-Paul-de-Vence, se serait-elle assoupie ? Depuis le départ en 2017 de son directeur artistique, Olivier Kaeppelin, le plus grand mystère plane sur sa ligne éditoriale et son avenir.

Elle avait 13 ans d’avance sur Beaubourg. Lorgnant sur les exemples américains, la Fondation Aimé et Marguerite Maeght créait « instinctivement et par l’amour un univers où l’art moderne trouve sa place », selon les termes d’André Malraux, qui l’inaugura en juillet 1964. Les grands noms se succédèrent à sa tête, de Jean-Louis Prat (directeur de 1969 à 2004) à Olivier Kaeppelin (de 2011 à 2017), ancien du Palais de Tokyo, et Michel Enrici (2006-2009), fondateur du Pavillon Bosio de Monaco. C’était le temps des soirées musicales en compagnie de John Cage, des lectures d‘Yves Bonnefoy, Claude Esteban ou Henri Michaux, des invitations faites à Paul Rebeyrolle, Germaine Richier, Fabrice Hyber ou Erik Dietman.

Mais depuis les célébrations de son demi-siècle, rien ne va plus. Les guerres intestines se sont accentuées depuis le départ du conseil d’administration en 2011 de Yoyo Maeght, la petite-fille. La fondation n’en sort pas indemne. Après la valse de trois directeurs en 10 ans, dont l’éphémère Dominique Païni resté huit mois, le poste est vacant depuis deux ans. Tandis que la gestion administrative a encore quelques défis à relever. « L’absence de directeur artistique est regrettable au vu de l’importance de la collection de la fondation, de son histoire et son prestige, déplore Olivier Kaeppelin. Cela ne correspond pas aux statuts, ni à l’esprit d’Aimé Maeght, en perpétuelle recherche de nouveauté et d’artistes pour lui montrer le chemin ». Tiraillée entre l’art et l’argent, la poésie et la psychanalyse familiale, la fondation cherche un nouveau souffle. « Après le départ du précédent directeur, le conseil d'administration a souhaité se donner le temps de la réflexion. Depuis 18 mois, sous son impulsion, la fondation a fait preuve d'un grand dynamisme », nous explique laconiquement la fondation.

Atonie existentielle

Tout est une question de point de vue. Alors qu’Aimé Maeght préférait parler d’« art vivant » que d’« art moderne », la programmation est davantage mémorielle qu’audacieuse et contemporaine. Vient de s’achever la 8e exposition Miró de la fondation, quand s’annonce à l’automne prochain un autre nom familier des lieux, celui des Giacometti. Au printemps, ce sera au tour de Jacques Monory à qui Jean-Louis Prat et Michel Enrici avaient déjà consacré des expositions, respectivement en 1977 et 2009. Pour chacune, des commissaires indépendants sont invités. Mais comment avancer sans chef d’orchestre ? La fréquentation a chuté de 40 % depuis 2010, selon le Comité régional du Tourisme de Côte d’Azur, mais se serait redressée de 30 % depuis 2018 selon la fondation, alors que celle-ci est sans tête.

Une situation délicate pour une structure privée sans subvention publique, dont le budget de 3 millions d’euros repose à 80 % sur la billetterie. « Pour des raisons budgétaires, la consigne est de se concentrer sur les prêteurs privés qui peuvent prendre à leur charge le transport ou plus », nous explique un des commissaires indépendants invités. Cette disette financière n’est pas nouvelle. Le projet d’extension commandé à l’architecte italien Silvio d’Ascia en 2006 et promis en 2014 a été stoppé faute d’argent. Le bâtiment attend toujours des travaux de rénovation en particulier sur ses vitrages pour présenter davantage d’arts graphiques. En attendant des lendemains qui chantent, la fondation multiplie les expositions clef-en-main louées en Chine, en Allemagne, en Italie… 

Dans cette atonie existentielle, la tutelle étatique de cette structure reconnue d’utilité publique, représentée au conseil d’administration par la Rue de Valois elle-même (une exception pour une fondation), se fait discrète. Directrice des musées de France jusqu’en 2018, Marie-Christine Labourdette a exprimé en 2016 son mécontentement face à la gestion jugée erratique de la fondation. Au menu des griefs : absence de réactualisation des statuts depuis 40 ans, irrégularité de la réunion des administrateurs, irrespect de la composition du conseil où la famille est à elle seule représentée par trois personnes dont le président en poste depuis 1982 (Adrien Maeght, sa demi-sœur Sylvie Balthazar-Eon, sa fille Isabelle Maeght), retard dans les dépôts de bilan, ou flou persistant dans le partage de certaines œuvres entre la famille héritière et la fondation.

La bride de l’État s’est relâchée avec la longue vacance de la direction des musées de France, qui n’a retrouvé une tête qu’en février. Toutefois, le poste de directeur administratif et financier était créé en 2018 avec Nicolas Gitton, diplômé d’HEC. Mais l’hémorragie du conseil d’administration a vu les départs successifs de personnes de prestige comme l’ancien ministre François Léotard. « Le salut et le renouveau de la Fondation Maeght passeront obligatoirement par un retour à l'éthique et à l'engagement de ses instances de gestion telles qu'elles avaient été installées par Aimé Maeght en 1964, explique Yoyo Maeght, en en modernisant le fonctionnement au vu des réseaux de création et de diffusion de l'art d'aujourd'hui et en restaurant l'esprit d'innovation qui animait mes grands-parents. » Une annonce de recrutement d’un directeur a finalement été publiée, avant d’être clôturée le 25 octobre. Selon nos informations, aucune candidature ne s’est démarquée. À bon entendeur…

L'article sur le site du Quotidien de l'Art ici

Le Quotidien de l'Art - 21 novembre 2019, par Sarah Hugounenq

Le livre de Yoyo Maeght - La Saga Maeght ici

 

 blfon