Presse - La saga des Maeght en blanc et noir
Livre : La petite-fille d'Aimé Maeght raconte l'histoire fabuleuse de son grand-père
Rencontre Guy Duplat
Maeght est un nom magique dans le monde de l'art. Qui ne s'est pas émerveillé de visiter la Fondation Maeght à Saint-Paul-de Vence qui reste un endroit fabuleux ? La galerie Maeght est (ou fut) une adresse incontournable et les éditions Maeght ont fourni des revues ("Derrière le miroir") et des éditions (600000 lithos et gravures) qui ont fait le bonheur des amateurs. Ce 28 juillet, on fêtera les cinquante ans de la Fondation et à cette occasion vient de s'y ouvrir l'exposition "Face à l'œuvre" qui parcourt cette aventure unique à travers des œuvres emblématiques.
Sort aussi un livre explosif de Yoyo Maeght, la petite-fille du fondateur de la dynastie, Aimé Maeght. Dans "La saga Maeght" qui sort aujourd'hui chez Robert Laffont, elle rend à la fois un magnifique hommage, émouvant et personnel à son grand-père, raconte la vie de rêve qu'elle a eue enfant et nous entraîne dans l'intimité des artistes, mais dans la seconde partie du livre, elle décrit les déchirements du clan et dévoile sa version de combats fratricides autour d'un héritage financier et artistique. A la lire, le monde de l'art n'est pas un monde irénique.
Yoyo Maeght née en 1959, éditrice, galeriste et commissaire d'exposition, magistrate, est la petite-fille d'Aimé et Marguerite Maeght. Avec ses sœurs Isabelle et Florence, c'est elle (elle avait 5 ans) qui remit à André Malraux, alors ministre de la Culture, les clés de la nouvelle Fondation Maeght, le 28 juillet 1964. Une fête mémorable où Montand vint chanter en voisin et où Fila Fitzgerald charma les invités. On découvrait le musée dû à l'architecte Josep Lluis Sert et les collections apportées à la Fondation par Aimé Maeght: Bonnard, Braque, Calder, Chagall, Giacometti, Léger, Miro...
Braque et Miro
"Ces dernières années, nous explique Yoyo Maeght, j'ai entrepris de graver dans le marbre la mémoire de mon grand-père Aimé Maeght. J'ai écrit deux livres sur lui, réalisé un film et encore, en 2010, une exposition qui a eu beaucoup de retentissement. 'Aimé Maeght et Giacometti'. Mais dans tout cela, j'ai toujours agi comme une scientifique, une historienne de l'art. Cette fois, je voulais ajouter mon témoignage personnel et aider, telle une archéologue, à retrouver ce qui animait mon grand-père."
Dans son livre, elle raconte son enfance de vraie princesse. Elle adorait aller jouer chez son grand-père, avenue Foch. Il la laissait empiler les chaises de Charlotte Perriand, se balader dans Paris, dans la Rolls conduite par le chauffeur Octave pour rendre visite à Georges Braque, "l'ami intime de Papy". Enfant, elle vexa Braque en lui apportant, un jour, une grande boîte de crayons de couleurs et lui disant : "Tiens Braque, pour faire des Miro.'' Miro qui fut l'autre ami intime d'Aimé Maeght.
J'étais avec Prévert et Picasso
Toute petite encore, elle est ainsi amenée chez, la veuve de Derain ou accompagne son grand-père chez le couple d'artistes Riopelle et Joan Mitchell. Dans son livre, elle se demande aujourd'hui si ses professeurs la prenaient pour une mythomane quand elle disait candidement la vérité pour expliquer une absence: "J'étais à Antibes avec Papy, Prévert et Picasso."
Quel était le secret d'Aimé Maeght : "Papy était né orphelin venu d'Hazebrouck, dans le Nord, nous explique Yoyo Maeght. De ses malheurs, il a fait des bonheurs. D'avoir été arraché à son pays natal pour aller dans les Cévennes, a fait qu'il a absorbé les deux pays et qu'il a toujours eu des choix larges et passionnés. Il a toujours exposé beaucoup d'artistes différents, loin des préjuges. "
Le livre raconte les succès phénoménaux d'Aimé Maeght comme galeriste, ses séjours à Saint-Paul-de Vence où il côtoyait la petite bande de "La Colombe d'or". Quand les filles Maeght avaient des ennuis, elles téléphonaient à "La Colombe d'or" pour joindre le grand-père et s'il n'était pas là, elles disaient: "Demandez alors à Montand, Lino Ventura, Serge Reggiani, Anouk Aimée ou Chagall." Serge Lifar était invité à voir comment la petite Florence (Flo) dansait si bien. Elle cite son grand-père rappelant "le tremblement d'émotion dans son être tout entier qui l'a pris quand il a visité l'atelier de Kandinsky".
"Histoire de gros sous"
Yoyo Maeght résume: "Marchand de tableaux, éditeur d'art, de livres, de revues, initiateur de festivals, créateur d'une des premières fondations d'art contemporain d'Europe, défenseur joyeux, insolent et visionnaire d'une certaine idée de l'art, la fondation Marguerite et Aime Maeght reste son chef-d’œuvre même s'il répétait que c'était un outil comme les autres au service des artistes." Mais Aimé Maeght, "Papy", meurt en 1981 d'un cancer, quelques années après son épouse.
Le livre "La saga Maeght" aborde alors la suite, bien moins idyllique, marquée par des questions délicates d'héritage et de désamours. Longtemps, la famille Maeght donna une mage unie, mais les divergences éclatèrent en 2011 quand Yoyo Maeght, alors PDG de Maeght Editeur, démissionna du conseil d'administration de la Fondation créée par ses grands-parents. Sa sœur Isabelle parla alors, dans "Nice-Matin", de "raisons personnelles relevant d'un problème strictement prive" et Adrien Maeght, le père de Yoyo et le fis d'Aimé, fut plus féroce, évoquant une "histoire de gros sous et d'orgueil". Depuis lors, Yoyo Maeght se sent libre et peut raconter dans ce livre sa version, très acide, de la famille Maeght des souffrances accumulées.
La Justice s'en est finalement mêlée
Yoyo Maeght dévoile aussi sa version des douloureux déchirements dans le clan.
Il y a d'abord la quasi-haine qui aurait existé entre Aimé et son fils Adrien. Yoyo évoque son père qui s'est très peu occupé d'eux, qui était surtout obsédé par les voitures (il a ouvert un temps un musée automobile) et qui n'aimait pas comme son père Aimé aller dans les biennales et les foires d'art et feuilleter tous les catalogues. "Adrien n'a d'autre guide que son plaisir immédiat. Tout ce qui se trouve entre lui et son plaisir doit être écarte", écrit sa fille. Confidente de son grand-père, elle se rend vite compte de ce "désamour" et son Papy lui explique, parlant dc son fils Adrien : "Je ne suis pas fâche, je suis déçu."
Yoyo Maeght tente de nous expliquer: "Papy était une personnalité d'une grande puissance intellectuelle, il était aussi très séducteur, comme pouvait l'être un Picasso. Mamy n'en a pas souffert, mais je pense que mon père a voulu protéger sa mère contre ce Papy si flamboyant. C'est finalement un conflit très œdipien." Elle ajoute : "A la mort de Mamy, quand Papy était encore là ce fut déjà très conflictuel entre lui et mon père pour régler L’héritage. On a dû faire appel alors à un administrateur judiciaire. "
"Le sang Maeght"
Yoyo Maeght évoque aussi le "désamour" entre elle et son père "Adrien, écrit-elle, se révèle implacable et cruel n'hésitant pas semble-t-il à monnayer ses enfants." "Je ne sais pas pourquoi mon père fut ainsi, et je n'ai pas à le juger, nous dit-elle. Mais il est vrai que Mamy lui avait dit: 'fais-nous des petits-enfants', et qu'il l'a sans doute fait aussi pour avoir en échange un confort de vie, un deal avec ses parents." Aujourd'hui, Yoyo Maeght vit avec les enfants de son compagnon et elle reste amère d'avoir, dit-elle, entendu son père dire que ses enfants n'avaient pas "du sang Maeght dans les veines".
Yoyo Maeght regrette qu'on n'ait pas développé le nom Maeght pour en faire la "première marque de luxe dans l'art". Elle-même a beaucoup voyagé, elle côtoie des artistes d'horizons divers comme le chorégraphe Preljocaj, dit-elle, "Je donne des cours et je rencontre des jeunes formidables, j'ai beaucoup travaillé aussi avec des artistes en Chine. Papy qui aimait tant tes artistes contemporains, aurait adoré les Chinois et il aurait inventé quelque chose dans ce contexte de mondialisation qu'il avait déjà compris en ayant ouvert des galeries dans de nombreux pays." Aujourd'hui, dit-elle, la "Galerie n'est plus ce qu'elle était et la Fondation cède au 'people'. Déjà à Saint-Paul-de-Vence, les 'people' ne peuvent plus venir incognito comme, jadis." Elle a peu apprécié la dernière grande expo à la Fondation avec Bernard-Henry Lévy comme commissaire: "Qu'en aurait pensé mon grand-père d'avoir BHL après Reverdy, Char et Malraux!"
Elle ajoute: "Le seul qui ait bien parlé de mon Papy après sa mort, de sa passion de transmettre, sans se contenter de dresser une liste de ce qu'il avait fait, ce fut Alechinsky qui m'a dit alors: 'La force de ton grand-père fut sa relation avec les poètes'."
Les pages les plus douloureuses du livre sont celles où Yoyo Maeght évoque sa sœur aînée Isabelle: "Elle n'a cessé de nous appeler, nous ses sœurs, ses chéries, mais c'était pour nous manipuler et prendre tout le pouvoir."
Le vol d'ordinateur
Le livre multiplie les anecdotes parfois d'une virulence inouïe : "les bijoux de Maman, sont tous chez Isa, nos souvenirs d'enfance ont disparu, les collections de Moustiers et d'antiquités sont chez Isa", révocation de Yoyo Maeght comme PDG de Maeght Edition, utilisation de la galerie pour promouvoir le compagnon d'Isabelle, dissimulation des inventaires et des ventes, accusation d'un vol d'ordinateur où se trouvaient ces infos et mystérieux prélèvement de salive ("Peut-être pour voir si la légende que je serais une enfant trouvée était vraie"), etc. "J’ai beaucoup lu de livres sur les manipulateurs. On ne peut pas les comprendre, j'ai essayé longtemps de comprendre mon père et ma sœur Isabelle, mais nous ne parlons pas le même langage. Aujourd'hui, je suis une femme libre, je veux garder des souvenirs avec mon grand-père et je renonce à comprendre le reste."
Mais la Justice suit son cours. Yoyo Maeght explique qu'elle a gagné déjà une manche quand la Justice lui a donné raison sur une part qui lui revenait dans la vente de certaines œuvres. Et l'enquête n'est pas close, "les comptes doivent être en ordre". "Moi, je vais être grand-mère bientôt et je voudrais avoir un endroit où je pourrais cette fois me dire que c'est bien à moi." Et elle a des projets comme de parler d'architecture sous des formes neuves.
G.Dt
La saga Maeght, Yoyo Maeght, Robert Laffont, 324p., : 21,50 euros, dédicacé par Yoyo Maeght.
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