Presse - La vision Maeght
« Le monde de l'art actuel a-t'il encore une longue vie ? Peut-être pas... »
À l'occasion de la célébration, ce 28 juillet, des cinquante ans de la fondation Maeght, Yoyo, petite-fille des fondateurs Aimé et Marguerite, publie un livre à la fois admiratif pour les fondateurs et assassin pour certains héritiers, dont son père Adrien.
Sous forme de triptyque, l'éditrice, galeriste et commissaire d'expos, Yoyo Maeght raconte son enfance privilégiée, mais sans chaleur, l'odyssée artistique de son grand-père, l'épopée de la fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, et enfin les déchirements sur fond d'héritage qui l'amenèrent à démissionner du conseil d'administration de la Fondation et de son poste de PDG de Maeght éditeur. Une vraie saga que le livre passionnant qu'elle vient de publier et qui, loin du sentiment de sérénité que procure le musée azuréen, livre, de la Fondation Maeght, un tableau contraste.
Aimé Maeght était-il un artiste frustré ?
Yoyo Maeght : Pas du tout. J'en ai parlé avec lui à de nombreuses reprises il n'a jamais repris les pinceaux ou le crayon, alors qu'il dessinait très bien.
Mon grand-père était graveur lithographe de formation. Dans une lettre à l'artiste Georges Rouault, il écrit qu'il a arrêté de peindre, car il préférait s'occuper des artistes et parce qu'il avait compris qu'il ne serait pas le meilleur.
Papy était, lui, capable de se juger, de faire son autocritique pour avancer. II a laissé cela de côte et a trouvé un autre moyen d'expression qui n'était pas un palliatif, mais lui correspondait mieux et auquel il n'avait pas pensé au début.
Si Aime Maeght avait imaginé devenir éditeur, il n'avait jamais pensé devenir marchand, ouvrir un musée, ou organiser des concerts... comme il le fit à la fondation par la suite.
Vous évoquiez sa carrière de marchand. Ce qui est frappant, c'est qu'il le soit devenu par amour de l'art...
Oui. Aime Maeght ne fait pas partie de ces marchands que je qualifierais d'antiquaires, qui achètent des œuvres d'artistes souvent décèdes pour les revendre. Ayant très vite rencontre des artistes comme Bonnard, Prévert ou Picabia, qu'il croise avant-guerre à Cannes, mon grand-père a tout de suite compris que les artistes avaient besoin de moyens. À ses yeux, le rôle du marchand était de pouvoir procurer, aux artistes, la dimension nécessaire dont ils avaient besoin.
Le mot qui caractérise l'œuvre de vos grands-parents c'est celui d'authenticité...
Ce qu'ils souhaitaient c'est que le geste de l'artiste ne soit pas atrophié. Dans une lithographie, la matière est telle que l'artiste l'a voulu. Pour Maeght, il s'agissait ne pas interpréter la création de l'artiste, de la conserver, en évitant les filtres.
La fondation Maeght est-elle née de la mort prématurée de Bernard, le frère cadet d'Adrien Maeght, votre père ?
Sans la mort de Bernard, Aimé et Marguerite Maeght se seraient cantonnés à leur magnifique carrière (de galeriste et d'éditeur), et n'auraient pas remis cette destinée en question. Avec la fondation, ils ont vraiment cherché l'immortalité, l'œuvre immortelle.
C'est un mausolée ?
Non, c'est plutôt un déclencheur, un hommage à la vie dans lequel Bernard n'est pas tellement présent. C'est une consolation, mais sans le côté négatif, qui dame que la vie peut exister sous d'autres formes que la chair et le sang. Cela se remarque, a la fondation, dans le respect montre aux arbres, à la nature, à l'importance des oiseaux, et des cigales. Ce sont les cigales dont les visiteurs se souviennent d'abord après leur passage à la fondation. Grâce à celle-ci, la vie d'Aimé et Marguerite évacue, sans l'oublier, le souvenir douloureux d'un enfant décède à onze ans qui serait sans doute devenu plus intéressé par l'art et la fondation que ne l'est son frère aîné.
Justement, peut-on dire qu'Adrien assassine le père dès que sa mère disparaît ?
Non. D'abord, Adrien n'a pas attendu la disparition de Marguerite pour être en conflit avec Aimé. Ensuite, j'aurais préféré qu'il « rue le père », qu'il coupe le cordon qu'il quitte la vie sans efforts et très confortable que lui offrait ses parents.
Aujourd'hui, on me dit, à mon tour, qu'avec ce livre, j'assassine mon père. C'est vrai, mais c'est le prix de ma liberté que j'ai décidé de reprendre.
Au fond, Adrien aimait beaucoup son père, qui l'adorait en retour. Papa n'a pas compris la façon dont mon grand-père aimait ma grand-mère. Mais il est vrai que Marguerite servait de régulateur entre son mari et son fils.
La fondation se voulait autofinancée, témoin de l'art vivant, indépendante et éditrice. Que reste-t-il de tout cela aujourd’hui ?
Indépendante, j'espère et je pense qu'elle est encore. Dans le cadre de la célébration des cinquante ans de la fondation, beaucoup d'œuvres ont été prêtées à l'extérieur.
Mon étonnement vient du fait que cette collaboration s'effectue avec des musées d'État, officiels. Ceux qui gèrent la Fondation Maeght actuellement, à savoir ma sœur Isabelle, mon frère Jules et mon père, n'ont pas mon exigence.
Mais, depuis, trois ans, ce conflit familial (NDLR : Yoyo a démissionné de tous ses mandats dans la constellation Maeght) m'a permis de me consacrer à la figure de mon grand-père, d'effectuer des recherches a son endroit et de réfléchir a ce qu'il fut.
Mais je ne suis pas inquiète pour la fondation en tant que telle. D’abord, il serait très difficile de la modifier et de lui faire perdre son âme. II existe des projets d'agrandissements, nécessaires, mais dont je ne suis pas certaine qu'ils soient dans l'esprit de la fondation.
Indépendante financièrement, c'est plus compliqué. La seule chose que n'avaient pas prévue mes grands-parents, c'est que les œuvres atteignent une telle valeur et que, par conséquent les assurances deviennent le plus gros budget de la fondation. Prenons l’« Homme qui marche » de Giacometti, un bronze similaire de moindre valeur, parce que non peint, a été adjuge 115 millions de dollars en 2010. Or la fondation en possède deux : rien que d'assurer ces deux œuvres représente un budget conséquent. Ce seul aspect représente le budget de fonctionnement d'un musée. Si la fondation était un musée d'Etat, elle n'aurait pas à assurer les œuvres. Une différence colossale.
Mon projet était de trouver des nouveaux moyens de financement, notamment par le mecenat d'entreprise, sans interférer dans la fondation, sans y apposer de logos, mais avec un soutien tel qu'il garantisse son indépendance par son financement.
Que reste-t-il de l'éditeur Maeght ?
Cela fait trois ans que j'ai quitté la constellation Maeght. Disons qu'il n'y a pas l'édition qu'on aurait pu espérer. II ne s’agit pas seulement de faire ce qu'on a déjà fait. Si Aimé avait vécu ces nouvelles années ou les galeries sont partout à New York, Los Angeles, en Chine ou au Brésil il aurait, d'après moi, laissé tomber le côté artiste exclusif, trop limité. Mon grand-père aurait pourtant ouvert de nombreuses galeries. En revanche Aimé Maeght aurait compris que la collaboration avec les artistes, même s'ils sont dans d'autres galeries, aurait été nécessaire. Mais il aurait fallu leur proposer davantage que d'autres galeries notamment au niveau de l'édition, et autre chose que des lithos, qui est un schéma crée au XXe siècle. II aurait fallu se projeter dans le siècle suivant. Se tourner vers la photographie ou vers l'impression en trois dimensions. Vendre, par exemple des sculptures, d'un côté, et, d'un autre, une application qui permette de les imprimer en trois dimensions. Ne pas rester dans ce qui a été fait, mais, avec l'esprit novateur visionnaire d'Aimé Maeght, sans nostalgie, se demander comment il aurait agi, aujourd'hui, avec l'esprit qui était le sien. Réfléchir au fait de savoir si le monde de l'art, dans sa forme actuelle, a encore une longue vie devant lui Peut-être pas…
Le nom se transmet, mais pas forcément l'esprit...
On ne peut pas vraiment en vouloir à mon père Adrien ne pas avoir eu la même démarche qu'Aimé. Pour avoir l'esprit, il faut trois choses : d'abord une proximité et une quotidienneté avec celui qui avait cet esprit-là, une curiosité. Pas juste être admiratif.
Personnellement, je la possédais avec lui ou avec des artistes que j'ai côtoyés comme Miro, Prévert, ou Alechinsky, celui qui m'a le mieux parle de mon grand-père.
Ensuite, il faut beaucoup travailler.
Enfin, il faut beaucoup d'analyse et ne pas être coincé le passé. II convient de manger de l'art contemporain tous les jours pour comprendre ce qu'est l'esprit d'Aimé Maeght.
Les de Solages et leur Maison particulière, à Bruxelles, ont cette forme d'esprit que possédait mon grand-père et ils s'investissent dans l'art contemporain. Je trouve déplorable que personne de ma famille ne les connaisse.
A voir le conflit familial et le gâchis engendré par ce dernier au niveau de la fondation, on se dit que la beauté est toujours éphémère, non ?
Oui et tant mieux. Nous avons eu quelques années de conflits, Aime en a aussi connu ou, en tout cas, des difficultés, notamment l'échec de la fondation qu'il voulait créer dans le quartier du Marais à Paris. II convient d'en tirer quelque chose de bénéfique, de positif.
C'est un gâchis pour la famille, mais pas pour le monde de l'art. C'est toujours triste quand frère et sœur ne se parlent plus, mais ce n'est pas irrémédiable. Par ailleurs, le déchirement qu'il y a eu avec mon père Adrien, ma sœur Isabelle et mon frère Jules m'a rapprochée de mon autre sœur Florence.
Vous craigniez un recours suite à la sortie du livre, paru le 3 juillet ?
Oui. Mais juridiquement il n’y a pas de lois ni de points précis qui justifieraient l'interdiction de ce livre. Je n'y parle pas de choses de la vie privée, mais de choses plus ou moins publiques, par ailleurs il s'agit de mon point de vue. J'assume une vision subjective des évènements.
Par BERNARD ROISIN
« La saga Maeght » Yoyo Maeght (avec la collaboration de Pauline Guena)
Editions Robert Laffont 336 p. 21 50 euros
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